L’œuvre de l’esprit est l’objet du droit d’auteur, la condi­tion d’accès à la pro­tec­tion par ce droit spé­cial, sésame qui per­met au créa­teur de béné­fi­cier de pré­ro­ga­tives fortes et exor­bi­tantes du droit com­mun. C’est par­ti­cu­liè­re­ment vrai en droit fran­çais, lequel se veut a priori pro­tec­teur de l’auteur. On parle de droit d’auteur « à la fran­çaise », in favo­rem auc­to­ris. Il ne s’agit d’ailleurs pas d’un droit de l’œuvre – à l’image du droit des biens –, mais d’un droit d’auteur… de l’auteur ?

On pour­rait tou­te­fois s’interroger sur la per­ti­nence de cette approche théo­rique, que cer­tains qua­li­fient de dog­ma­tique. Résiste-​​t-​​elle d’ailleurs lorsqu’on la confronte aux faits ? A l’heure où l’on pro­tège par ce droit non plus seule­ment un tableau, une sculp­ture, un roman, mais aussi un logi­ciel, un bou­lon, une cabine de douche, une boîte à œufs, un modèle ves­ti­men­taire…, l’auteur est-​​il bien au centre de toutes les atten­tions et les cri­tères d’accès à la pro­tec­tion sont-​​ils tou­jours ceux rete­nus et ensei­gnés, une créa­tion de forme ori­gi­nale ? Ou faut-​​il réin­ven­ter la défi­ni­tion juri­dique de l’œuvre ?

Le créa­teur est tra­di­tion­nel­le­ment entendu comme la per­sonne phy­sique qui s’investit dans l’œuvre et y grave sa per­son­na­lité. Mais quelle est la place de l’entreprise dans cette rela­tion ombi­li­cale ? La concep­tion per­son­na­liste du droit d’auteur n’est-elle pas dépas­sée par la juris­pru­dence sur l’œuvre col­lec­tive qui redé­fi­nit l’œuvre, notam­ment dans le domaine de l’art appli­qué, par ses condi­tions de pro­duc­tion, et accorde à l’entreprise droits patri­mo­niaux et moraux ab ini­tio au détri­ment des contri­bu­teurs, les­quels ne sont par­fois même plus consi­dé­rés comme des auteurs ? De même, la fron­tière entre l’idée, de libre par­cours, et la forme, per­met­tant seule la qua­li­fi­ca­tion, est-​​elle per­ti­nente ? En outre, on assène que le cri­tère dis­cri­mi­nant retenu pour fil­trer l’accès à la pro­tec­tion est l’ori­gi­na­lité. Mais que signi­fie réel­le­ment cette notion, variable s’il en est, et épargne-​​t-​​elle une éva­lua­tion de l’œuvre ? Dans le pro­lon­ge­ment, les cri­tères indif­fé­rents consa­crés par le légis­la­teur – pré­ci­sé­ment le genre et le mérite – le sont-​​ils vrai­ment ? À l’époque des mul­tiples et des clones per­mis par les tech­niques modernes de repro­duc­tion, sur quoi porte l’appréciation ? L’ori­gi­nal, les originaux… ?

L’œuvre de l’esprit, une simple ques­tion de qua­li­fi­ca­tion, une kyrielle d’incertitudes ! Incer­ti­tudes aggra­vées par deux para­mètres : le pro­cès et l’Europe. L’épreuve que les tri­bu­naux imposent à cette caté­go­rie juri­dique, entre exer­cice de qua­li­fi­ca­tion et charge de la preuve, n’influence-t-elle pas la force des cri­tères ? Et le tableau serait inachevé si l’on pas­sait sous silence le fait que ces cri­tères fran­çais sont peut-​​être appe­lés à évo­luer dès lors que la défi­ni­tion de l’œuvre est pro­gres­si­ve­ment des­si­née par la CJUE. Vers des cri­tères euro­péens de l’œuvre ?

Ce col­loque s’inscrit dans la conti­nuité de celui réa­lisé par Fran­çoise Labarthe et Alexan­dra Ben­sa­moun, à l’INHA, en mai 2012, L’art en mou­ve­ment : regards de droit privé (actes publiés aux édi­tions Mare et Mar­tin). L’idée est encore ici de croi­ser les approches, cette fois sous l’angle unique du droit d’auteur, mais en invi­tant à la réflexion uni­ver­si­taires, pro­fes­sion­nels, venant de dif­fé­rents horizons.

Programme du colloque « L’oeuvre de l’esprit en question(s) »

L’inscription, avant le 25 octobre, se fait par le lien sui­vant : https://rech.jm.u-psud.fr/colloque/colloque.php?evt=50